Home > Transition vers la formation scientifique supérieure

Derrière les taux d’échec et les réorientations en première année de nombreuses facultés se cache un problème structurel : le décalage existant entre le niveau atteint au secondaire II et celui attendu à l’entrée des formations supérieures. Ce décalage, particulièrement marqué dans les filières scientifiques, interroge l’équité du système éducatif pris dans son ensemble ainsi que ses répercussions sociales à long terme. L’enseignement supérieur en Suisse romande n’échappe pas à cette tendance. Les données recueillies à l’EPFL et à l’Université de Genève au cours des dernières années montrent à quel point cet écart de niveau se traduit, dès la première année, par des difficultés d’adaptation et des parcours hétérogènes (voir l'onglet « Ressources utiles »).

Cadre théorique
Conséquences sur le parcours
Situation à Genève
Pistes d’action
Ressources utiles
Compétences de base constitutives de l’aptitude générale aux études

L'adoption de la réforme de l'ordonnance fédérale suisse [ORM, 2023] et du plan d'études cadre de la maturité gymnasiale par les cantons introduit un nouveau modèle de compétences [PEC, 2024]. Celui-ci explicite notamment les compétences de base en langue d’enseignement (CBLA) et en mathématiques (CBMA), constitutives de l’aptitude générale aux études. Ce modèle, inspiré des documents de la CDIP* (2016, 2023) et des travaux de F. Eberle (2011, 2019), considère la maîtrise des CBLA et des CBMA comme un prérequis, nécessaire mais non suffisant, à la réussite des études supérieures. Cela s’explique notamment par leur rôle structurant dans la construction des savoirs dans les autres disciplines : elles constituent un socle pour « apprendre à apprendre ». Les CBMA se révèlent particulièrement essentielles pour la poursuite d’études à caractère scientifique**.

Bien que la dimension strictement disciplinaire des CBMA soit évidente, leur composante à portée supra- ou interdisciplinaire – telle que la capacité à « manier les outils mathématiques avec souplesse », à les « utiliser de manière adaptative » (transposition) et à « établir des liens entre concepts » – revêt une importance cruciale pour leur apprentissage durable. En particulier, l’acquisition de la dimension des savoir-faire, déclinée dans tous ses aspects (notamment « l’application et le maniement adaptatifs et flexibles » des contenus de la dimension thématique, p. 15–17 du [PEC, 2024]), ne peut se faire qu’à travers la mobilisation et l’application des thèmes abordés en mathématiques dans le contexte des autres disciplines. Ainsi, la maîtrise durable d’une notion mathématique ne repose pas uniquement sur son enseignement dans le cours de mathématiques. Son acquisition nécessite la consolidation par sa contextualisation et son utilisation dans d’autres disciplines sur le long terme. Elle ne peut donc pas être garantie par des cours ponctuels, transversaux ou des dispositifs de rattrapage à court terme.

Par ailleurs, il est essentiel que toutes les CBMA mentionnées dans l’annexe du PEC fédéral de 2024 soient effectivement acquises à la maturité. Cela suppose une coordination attentive des plans d’études et une répartition explicite des CBMA entre les différentes disciplines scientifiques tout au long du cursus secondaire. Dans cette perspective, la physique est la seule discipline scientifique dans laquelle l’ensemble des CBMA sont déployées, y compris celles devant être acquises au cours des dernières années d’études secondaires.

Recherche en didactique de la physique

La relation complexe entre la compréhension de la physique et l’acquisition des compétences mathématiques va bien au-delà d’une simple utilisation de ces dernières comme outil de calcul pour la première, ou de la physique comme simple cadre d’application des mathématiques. Ces deux disciplines ont historiquement progressé en s’appuyant l’une sur l’autre, et les avancées de l’une sont inextricablement liées à celles de l’autre [Karam, 2015]. Cette interdépendance se manifeste également dans le contexte de l’apprentissage, comme l’attestent de nombreux travaux de recherche en didactique (voir, par exemple, [Pospiech et al., 2019] et les références citées).

D’une part, il est bien établi depuis plusieurs décennies qu’une meilleure maîtrise du « langage » mathématique favorise un apprentissage plus aisé et plus solide des contenus de physique (voir, par exemple, [Thorndike, 1946], [Meltzer, 2002], [Karam, 2015], [Torigoe & Gladding, 2007, 2011], [Pepper et al., 2012], [Uhden et al., 2012], [Wilcox et al., 2013], [Bollen et al., 2015]). D’autre part, l’application des notions mathématiques à divers contextes de la physique permet aux élèves de comprendre plus profondément la signification abstraite des équations et du symbolisme. Cela conduit à une meilleure maîtrise des notions mathématiques sous-jacentes, créant ainsi un cercle vertueux, bénéfique à l’apprentissage des deux disciplines.

Comme le souligne Sherin (2001) : “(…) successful students learn to understand what equations say in a fundamental sense; they have a feel for expressions, and this guides their work. More specifically, students learn to understand physics equations in terms of a vocabulary of elements that I call symbolic forms. Each symbolic form associates a simple conceptual schema with a pattern of symbols in an equation. (…) Physics expertise involves this more flexible and generative understanding of equations” ***.

En effet, contrairement au langage mathématique pur, abstrait et décontextualisé, les expressions utilisées en physique prennent une signification « substantielle » : les symboles correspondent à des grandeurs physiques, possèdent des unités, et les équations traduisent des relations conceptuelles entre ces grandeurs « substantielles » [Tuminaro & Redish, 2007].

Attribuer une signification physique aux symboles, leur associer des unités et mobiliser les différentes interprétations du langage mathématique abstrait dans l’étude de la nature requiert un effort particulier dans l’enseignement de la physique. Mais cet effort ouvre également la voie à une capacité d’abstraction et de généralisation caractéristique du langage mathématique appliqué à la nature, et permet une compréhension plus profonde des relations entre les quantités et des mécanismes sous-jacents.

* Conférence des directrices et des directeurs cantonaux de l’instruction publique.

** « Posséder les compétences de base en mathématiques constitutives de l’aptitude générale aux études supérieures, quand il s’agit de manier des représentations, implique non seulement de savoir passer d’une forme de représentation à une autre, mais aussi d’être capable de choisir la forme de représentation la plus adéquate pour une tâche, et donc de savoir les manier de façon adaptative. Ainsi, les fonctions peuvent être représentées de manière symbolique (expression de la fonction), graphique (graphique de la fonction), sous forme de tableaux (tableaux de valeurs) ou décrites verbalement. » [PEC, 2024].

*** Traduction : « (…) Les élèves qui réussissent apprennent à comprendre ce que les équations disent dans leur sens plus fondamental ; ils ont le « ressenti » des équations, et cela les guide dans leur travail. Plus spécifiquement, les élèves apprennent à comprendre les équations de physique en termes d’un vocabulaire d’éléments que j’appelle « formes symboliques ». Chaque forme symbolique associe un schéma conceptuel simple avec une forme de symboles dans une équation. (…) L’expertise en physique implique cette compréhension plus flexible et génératrice des équations. »

Références :
  • Bollen, L., Van Kampen, P. and De Cock, M. (2015). Students’difficulties with vector calculus in electrodynamics. Phys. Rev. ST Phys. Educ. Res. 11, 020129.
  • Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP, 2024). Évolution de la maturité gymnasiale ; plan d’études cadre (PEC) pour les écoles de maturité gymnasiale : adoption.
  • DMK/CMR/CMSI (2016). Catalogue mathématique mathématiques en DF au gymnase en vue du passage à l’université.
  • Eberlé, F. et al. (2011). Évaluation de la réforme de la maturité 1995 (EVAMAR) : Rapport final de la phase II.
  • Eberlé, F. et al. (2019). Les compétences de base en mathématiques et en langue 1ère constitutives de l’aptitude générale aux études supérieures. Rapport synthétique à l’attention de la CDIP.
  • Karam, R. (2015). Thematic issue: The Interplay of Physics and Mathematics: Historical, Philosophical and Pedagogical Considerations. Science and Education, 24(5-6), S. 487-748.
  • Meltzer, D. E. (2002). The relationship between mathematics preparation and conceptual learning gains in physics: A possible “hidden variable” in diagnostic pretest scores, Am. J. Phys. 70, 1259.
  • ORM (2023) : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2023/373/fr et https://www.edk.ch/fr/themes/maturite-gymnasiale.
  • Pepper, R. E., Chasteen, S. V., Pollock, S. J. and Perkins, K. K. (2012). Observations on student difficulties with mathematics in upper-division electricity and magnetism, Phys. Rev. ST Phys. Educ. Res. 8, 010111.
  • Pospiech, G., Michelini, M. & Eylon, B. (Eds.). (2019). Mathematics in physics education. Springer.
  • Thorndike, A. (1946). Correlation between physics and mathematics grades. Schol Sci. Math. 46, 650.
  • Torigoe, E. and Gladding, G. (2007). Symbols: Weapons of math destruction. AIP Conf. Proc. 951, 200.
  • Torigoe, E. and Gladding, G. (2011). Connecting symbolic difficulties with failure in physics. Am. J. Phys. 79, 133.
  • Uhden, O., Karam, R., Pietrocola, M. and Pospiech, G. (2012). Modelling mathematical reasoning in physics education. Sci. Educ. 21, 485.
  • Wilcox, B. R., Caballero, M. D., Rehn, D. A. and Pollock, S. J.(2013). Analytic framework for students’ use of mathematics in upper-division physics. Phys. Rev. ST Phys. Educ. Res. 9, 020119.
  • Sherin, B. L. (2001). How students understand physics equations. Congnition and Instruction 19(4), 479-541.
  • Tuminaro & Redish (2007). Elements of a cognitive model of physics problem solving: epistemic games. Physical Review Special Topics-Physics Education Research, 3(2), 020101.